martes, 10 de diciembre de 2019

EL JURAMENTO DE WHITECHAPEL TAMBIÉN SE LEE EN BÉLGICA

Rodolphe Stembert, un atento lector belga, estudioso y especialista del género negro, me envía sus impresiones sobre EL JURAMENTO DE WHITECHAPEL.
Merci beaucoup. Rodolphe.


Décidément Abasolo ne cessera pas de nous étonner. Après nous avoir habitués aux enquêtes du commissaire Goicochea, il s’est aventuré, avec succès, dans le récit uchronique (El aniversario de la independencia) ensuite dans une œuvre pleine d’humour qui évoluait entre parodie du western et roman policier (Una del Oeste).
Voilà qu’il nous entraîne dans un nouvel exercice de style pour notre plus grand plaisir
Avec son dernier roman El juramento de Whitechapel, Erein, 2019, il change de lieu, d’époque et de style.
Il y fait se côtoyer personnages réels et personnages fictifs dont il présente la liste dans un Dramatis personae. Le lecteur francophone1 reconnaîtra Conan Doyle et peut-être Constance Markievicz, féministe et surtout militante pour l’indépendance de l’Irlande. Peu importe puisque ces personnages bien réels, comme d’autres d’ailleurs, sont considérés, au même titre que les personnages créés par l’auteur, comme des protagonistes d’une fiction. Tantôt adjuvants, tantôt opposants.
Le lecteur espagnol - le basque en particulier- reconnaîtra Sabino Arana, le futur fondateur du PNV (Parti National Basque).
Quant au lecteur anglais, il reconnaîtra les acteurs qui, de loin ou de près ont été impliqués dans la recherche de celui qu’on a appelé Jack l’éventreur.
On est en 1888. Abasolo imagine que Sabino Arana, a été envoyé à Londres après le décès de sa mère, pour apprendre l’anglais et surtout se familiariser avec le monde des affaires chez Peter Kingsfield, un industriel membre de la chambre des Lords, vieil ami de son père. Tout au long de son séjour à Londres, il sera piloté par Charles le fils de Peter Kingsfield
Son arrivée dans la Londres victorienne correspond au premier crime de Jack l’éventreur.
Charles va l’entraîner à mener une enquête pour découvrir l’assassin des prostituées du quartier mal famé de Whitechapel, empiétant ainsi sur les investigations que mènent les agents de Scotland Yard, ce qui va provoquer quelques frictions, mais aussi des collaborations inattendues.
Il y a deux narrateurs : un prêtre basque, condamné à mort par le régime de Franco pour être resté fidèle à la République qu’il avait servie en qualité d’aumônier du bataillon basque pendant la guerre civile. Il vient de recevoir la sentence et attend son exécution avec d’autres condamnés, des prêtres comme lui, des anarchistes, des socialistes, des communistes, des nationalistes... ; il a refusé de se confesser à l’aumônier de la prison préférant le faire avec un des prêtres incarcérés.
Cette confession lui en rappelle une autre, quand frais émoulu du séminaire, il avait confessé Sabino Arana qui sera le deuxième narrateur.
En effet, après s’être confessé, Arana va raconter à son confesseur son séjour à Londres dans la maison des Kingsfield, ses relations avec sa famille d’accueil, en particulier avec Elisabeth, la sœur de Charles et ses investigations dans le quartier de Whitechapel, ses scrupules...
Le prêtre qui a appris par expérience la relativité des dogmes interrompt épisodiquement le récit de Sabino– ses divagations comme il dit – pour s’étonner de ses scrupules, analyser ses propos, et, parfois, se remettre lui-même en question.
Au départ pourtant, pas mal de choses semblaient opposer Sabino à ses hôtes également : Charles et Elisabeth sont anglicans, Sabino est un catholique conservateur, timoré en amour, constamment en proie à des problèmes de conscience ; Charles condamne les mouvements indépendantistes irlandais, Sabino, militant pour l’indépendance d’Euskera ne dissimule pas ses sympathies pour ces mouvements ; Charles est gouailleur, Sabino timide ; Charles est à l’aise dans les ruelles de Whitechapel, Sabino est horrifié par ces lieux de débauche et de péché...
Autour de ces trois personnages, il y a encore FitzGerald, un curé irlandais, O’Malley, un malfrat irlandais peu commode, Latimer, le secrétaire de Peter Kingsfield, une sorte de Iago et le monsieur élégant coiffé d’un chapeau qui est chaque fois présent sur le lieu du crime. Et quelques personnages sortis tout droit des pulp magazines, comme ce Francis Hurley, alias Le Marteau, ou les prostituées de Whitechapell... Des secrets de famille et quelques autres crimes inattendus, mais toujours en rapport avec l’intrigue principale.
Résumé ainsi, cela donne l’impression d’un écheveau dont les fils seront bien difficiles à démêler. Pourtant, il n’en est rien. L’une des qualités de ce roman réside dans sa cohérence et la liberté prise par l’auteur avec les canons du roman à énigme en ne jouant pas avec des fausses pistes.
Par contre les rétentions d’informations de la part de certains protagonistes vont conforter la multitude d’indices habilement distillés tout au long du roman.
Et si, à la façon des séries à la mode, il introduit une histoire d’amour, c’est pour la laisser à l’état d’ébauche, en relation avec les scrupules religieux et le savoir-vivre de Sabino, mais aussi en interaction avec la trame narrative.
La résolution de l’énigme, grâce au don d’observation et à la perspicacité de Sabino (voir la scène de la représentation de Nabucco) qui est un peu le Whatson de ce duo de détectives amateurs, est tout à fait plausible et pourrait constituer une hypothèse vraisemblable de l’explication de ces crimes.
Une autre qualité de ce roman réside dans l’écriture qui fait penser à la technnique du pastiche. C’est peut-être une impression personnelle parce qu’il est plus aisé de découvrir le pastiche quand on lit dans sa langue maternelle. Malgré tout, on ne peut se passer de penser soit à l’écriture de Dickens soit à celle de Conan Doyle, tous deux cités – et même protagoniste en ce qui concerne ce dernier – dans le roman.
Il y a, en effet, un ton très « british » dans ce récit, particulièrement dans les dialogues entre Charles, railleur et Sabino soucieux de ne pas vexer son interlocuteur ou dans les dialogues entre Sabino et Elisabeth.
Un roman comme on les aime, qui offre des surprises, tant du point de vue des histoires qu’il conte que de la manière de les raconter, à mille lieues des « super ventes » fabriqués à base d’algorythmes ; un roman dans lequel chaque situation, chaque dialogue contient un élément qui fait avancer l’enquête, même si, à première vue il peut sembler gratuit.
Bref un roman qui fait appel à l’intelligence du lecteur et qui ne manque pas d’humour.
(Rodolphe Stembert).