Rodolphe Stembert, un atento lector belga, estudioso y especialista del género negro, me envía sus impresiones sobre EL JURAMENTO DE WHITECHAPEL.
Merci beaucoup. Rodolphe.
Décidément Abasolo ne cessera pas de nous
étonner. Après nous avoir habitués aux enquêtes du commissaire Goicochea, il
s’est aventuré, avec succès, dans le récit uchronique (El aniversario de la
independencia) ensuite dans une œuvre pleine d’humour qui évoluait entre
parodie du western et roman policier (Una del Oeste).
Voilà
qu’il nous entraîne dans un nouvel exercice de style pour notre plus grand
plaisir
Avec
son dernier roman El juramento de Whitechapel, Erein, 2019, il change de lieu,
d’époque et de style.
Il
y fait se côtoyer personnages réels et personnages fictifs dont il présente la
liste dans un Dramatis personae. Le lecteur francophone1 reconnaîtra Conan
Doyle et peut-être Constance Markievicz, féministe et surtout militante pour
l’indépendance de l’Irlande. Peu importe puisque ces personnages bien réels,
comme d’autres d’ailleurs, sont considérés, au même titre que les personnages
créés par l’auteur, comme des protagonistes d’une fiction. Tantôt adjuvants,
tantôt opposants.
Le
lecteur espagnol - le basque en particulier- reconnaîtra Sabino Arana, le futur
fondateur du PNV (Parti National Basque).
Quant
au lecteur anglais, il reconnaîtra les acteurs qui, de loin ou de près ont été
impliqués dans la recherche de celui qu’on a appelé Jack l’éventreur.
On
est en 1888. Abasolo imagine que Sabino Arana, a été envoyé à Londres après le
décès de sa mère, pour apprendre l’anglais et surtout se familiariser avec le
monde des affaires chez Peter Kingsfield, un industriel membre de la chambre
des Lords, vieil ami de son père. Tout au long de son séjour à Londres, il sera
piloté par Charles le fils de Peter Kingsfield
Son
arrivée dans la Londres victorienne correspond au premier crime de Jack
l’éventreur.
Charles
va l’entraîner à mener une enquête pour découvrir l’assassin des prostituées du
quartier mal famé de Whitechapel, empiétant ainsi sur les investigations que
mènent les agents de Scotland Yard, ce qui va provoquer quelques frictions,
mais aussi des collaborations inattendues.
Il
y a deux narrateurs : un prêtre basque, condamné à mort par le régime de Franco
pour être resté fidèle à la République qu’il avait servie en qualité d’aumônier
du bataillon basque pendant la guerre civile. Il vient de recevoir la sentence
et attend son exécution avec d’autres condamnés, des prêtres comme lui, des
anarchistes, des socialistes, des communistes, des nationalistes... ; il a
refusé de se confesser à l’aumônier de la prison préférant le faire avec un des
prêtres incarcérés.
Cette
confession lui en rappelle une autre, quand frais émoulu du séminaire, il avait
confessé Sabino Arana qui sera le deuxième narrateur.
En
effet, après s’être confessé, Arana va raconter à son confesseur son séjour à
Londres dans la maison des Kingsfield, ses relations avec sa famille d’accueil,
en particulier avec Elisabeth, la sœur de Charles et ses investigations dans le
quartier de Whitechapel, ses scrupules...
Le
prêtre qui a appris par expérience la relativité des dogmes interrompt
épisodiquement le récit de Sabino– ses divagations comme il dit – pour
s’étonner de ses scrupules, analyser ses propos, et, parfois, se remettre
lui-même en question.
Au
départ pourtant, pas mal de choses semblaient opposer Sabino à ses hôtes
également : Charles et Elisabeth sont anglicans, Sabino est un catholique
conservateur, timoré en amour, constamment en proie à des problèmes de
conscience ; Charles condamne les mouvements indépendantistes irlandais,
Sabino, militant pour l’indépendance d’Euskera ne dissimule pas ses sympathies
pour ces mouvements ; Charles est gouailleur, Sabino timide ; Charles est à
l’aise dans les ruelles de Whitechapel, Sabino est horrifié par ces lieux de
débauche et de péché...
Autour
de ces trois personnages, il y a encore FitzGerald, un curé irlandais,
O’Malley, un malfrat irlandais peu commode, Latimer, le secrétaire de Peter
Kingsfield, une sorte de Iago et le monsieur élégant coiffé d’un chapeau qui
est chaque fois présent sur le lieu du crime. Et quelques personnages sortis
tout droit des pulp magazines, comme ce Francis Hurley, alias Le Marteau, ou
les prostituées de Whitechapell... Des secrets de famille et quelques autres
crimes inattendus, mais toujours en rapport avec l’intrigue principale.
Résumé
ainsi, cela donne l’impression d’un écheveau dont les fils seront bien
difficiles à démêler. Pourtant, il n’en est rien. L’une des qualités de ce
roman réside dans sa cohérence et la liberté prise par l’auteur avec les canons
du roman à énigme en ne jouant pas avec des fausses pistes.
Par
contre les rétentions d’informations de la part de certains protagonistes vont
conforter la multitude d’indices habilement distillés tout au long du roman.
Et
si, à la façon des séries à la mode, il introduit une histoire d’amour, c’est
pour la laisser à l’état d’ébauche, en relation avec les scrupules religieux et
le savoir-vivre de Sabino, mais aussi en interaction avec la trame narrative.
La
résolution de l’énigme, grâce au don d’observation et à la perspicacité de
Sabino (voir la scène de la représentation de Nabucco) qui est un peu le
Whatson de ce duo de détectives amateurs, est tout à fait plausible et pourrait
constituer une hypothèse vraisemblable de l’explication de ces crimes.
Une
autre qualité de ce roman réside dans l’écriture qui fait penser à la
technnique du pastiche. C’est peut-être une impression personnelle parce qu’il
est plus aisé de découvrir le pastiche quand on lit dans sa langue maternelle. Malgré
tout, on ne peut se passer de penser soit à l’écriture de Dickens soit à celle
de Conan Doyle, tous deux cités – et même protagoniste en ce qui concerne ce
dernier – dans le roman.
Il
y a, en effet, un ton très « british » dans ce récit, particulièrement dans les
dialogues entre Charles, railleur et Sabino soucieux de ne pas vexer son
interlocuteur ou dans les dialogues entre Sabino et Elisabeth.
Un
roman comme on les aime, qui offre des surprises, tant du point de vue des
histoires qu’il conte que de la manière de les raconter, à mille lieues des «
super ventes » fabriqués à base d’algorythmes ; un roman dans lequel chaque
situation, chaque dialogue contient un élément qui fait avancer l’enquête, même
si, à première vue il peut sembler gratuit.
Bref
un roman qui fait appel à l’intelligence du lecteur et qui ne manque pas
d’humour.
(Rodolphe Stembert).